“Quand le pourquoi est aligné avec l’opérationnel, on crée une communauté” Geoffrey Bruyère, cofondateur de Bonne Gueule

"Quand le pourquoi est aligné avec l'opérationnel, on crée une communauté" Geoffrey Bruyère, cofondateur de Bonne Gueule

Monétiser un média, beaucoup en rêvent, mais peu y arrivent, ou alors avec beaucoup de fonds levés, des pertes abyssales et une ligne éditoriale plus que douteuse… Pourtant, il suffit de peu de choses pour créer une réelle communauté prescriptrice et consommatrice autour de son média… Il suffit simplement d’aimer les gens à qui on s’adresse et ne pas voir seulement en eux un objectif financier. Un concept que beaucoup d’entrepreneurs ont oublié mais qui est la règle numéro un chez Bonne Gueule, le média indépendant de mode masculine qui “a un seul objectif : aider les hommes à se sentir bien dans leurs vêtements” explique Geoffrey Bruyère cofondateur de l’entreprise.

auteurs-s1

Le site est né en 2007, alors que Geoffrey et son associé Benoit Wojtenka n’avaient que 19 ans. “On voulait aider les hommes à trouver leur style et se sentir bien dans leur image“. A l’époque, c’est le début des blogs, et “il n’y en avait quasiment pas qui parlaient de mode masculine“. Ceux qui existaient traitaient des tendances, mais “nous on a voulu apporter notre touche geek en expliquant d’où venaient les marques, comment étaient fabriquées les chaussures“. Ce qui a permis à Bonne Gueule de s’imposer en quelques années comme le “premier site de conseil en mode masculine sur le net“. La communauté a grandi au fil des années, pour atteindre 3 millions de visiteurs uniques par an aujourd’hui. Une communauté qui peut poser toutes ses questions gratuitement à l’équipe de 15 salariés (la grande majorité en CDI) “on répond à 5000 questions chaque mois, qui concernent des conseils mode, des recherches de produits ou de marques, on est une hotline du style !

On voulait aider les hommes à trouver leur style et se sentir bien dans leur image

Bonne gueule a débuté comme un hobby d’étudiants, mais aujourd’hui la société réalise 2,1M€HT de CA, le tout “sans avoir levé de fonds, ni auprès de business angels, ni en love money“. Geoffrey et Benoit n’ont pas monétisé le site jusqu’en 2011, car ils ne voulaient pas “d’articles sponsorisés, d’affiliation ni de publicité sur le site“, pour rester indépendants sur leur ligne éditoriale. Finalement ce sont les lecteurs eux-mêmes qui leurs ont soufflé leur premier axe de monétisation avec la création d’un ebook, “une bible de mode masculine“, devenue depuis le best seller en français édité jusqu’à “Taïwan“, qu’ils ont écrit, mis en page et éditer en un mois, sur leur temps de sommeil. “Le guide l’homme stylé… Même mal rasé, était vendu 27€ en version numérique et nous a rapporté 5000€/mois pendant 3 ans, de quoi constituer une première levée de fonds sans ouvrir notre capital !“.

Par la suite Geoffrey et Benoit ont continué de chercher un business model pérenne, en dehors de l’ebook, car entretemps, le prix de vente avait considérablement chuté sur le livre numérique. Ils ont alors proposé une offre de coaching pour homme, mais “le modèle n’était pas scalable et prenait beaucoup de temps“, ils ont aussi pensé à proposer du contenu payant sur le site, puis après tous ces pivots, leur est venue à l’idée de créer un premier jean en “se rapprochant de la maison de jeans Renhsen“, avec laquelle ils ont produit une série de “150 pièces grâce aux revenus engrangés avec l’ebook“. Pour vendre ces jeans, ils proposent un contenu à forte valeur ajoutée autour du jean “son histoire, sa fabrication, sa composition, etc…” pour informer les lecteurs, le tout “sans jamais parler de notre produit“. Ils sont même allés aux USA sur les terres du premier jean pour en savoir plus et proposer des articles de haute qualité à leur communauté. “A notre retour, on a mis en vente nos jeans et on en a vendus pour 42 000€ en deux jours, sans publicité !“. “Je pense que tout expliquer autour de la fabrication du jean nous a permis de lever les barrières à l’achat, surtout sans contenu commercial“. “On voulait montrer que ce ne sont pas les marques les plus notoires qui font forcément les meilleurs produits“. Par la suite, les collaborations avec d’autre marques sélectionnées se sont enchainées, sur de petites séries, “ce qui nous permettait de tout vendre rapidement et de ne pas avoir de stock“. Le stock c’est ce qui plombe la trésorerie des entreprises, mais dans leur cas, le fait d’être “un média et un distributeur nous a permis d’avoir rapidement un excédent de fond de roulement qu’on n’aurait pas eu en étant un distributeur classique“.

On a disrupté les retailers classiques !

Par la suite, les fondateurs décident de nouveau, de passer un cap en proposant leurs propres collections dès 2013, en s’affranchissant des partenariats avec les autres marques “on voulait avoir accès aux ateliers de confection, aux tanneries, etc…“. Aujourd’hui “on a peu de référence, mais cela contribue pour 85% de notre chiffre d’affaire“. Chaque fiche produit du site est rédigée avec 1500 à 2000 mots, alors qu’un site ecommerce classique va à l’essentiel. Une stratégie payante car le taux de transformation sur le eshop est de 4,5%. Certaines fiches ont même 1000 commentaires autour du produit ! “Notre communauté est très active et nous sommes très transparents sur notre activité“.

jean

Notre rentabilité tient aussi au fait que nous avons peu de stock et de coût de design, alors que les marques de mode n’hésitent pas à gâcher du temps humain en faisant travailler leurs équipes créatrices sur des collections entières qui ne resteront que peu en magasin“. “Chez Bonne Gueule, on privilégie le social et l’environnemental, avec seulement 20 références en magasin“. “On distribue de la valeur autour de nos produits” et “nos collaborateurs sont aussi importants que nos lecteurs ou nos acheteurs“. Ce qui a permis à l’entreprise d’être rentable depuis le début.

Nos collaborateurs sont aussi importants que nos lecteurs ou nos acheteurs

Depuis juin 2015, Bonne Gueule c’est aussi un magasin de 25m² dans le Marais à Paris, qui réalise 70000€HT/mois de chiffre d’affaire. “On a misé sur la même approche qu’on avait sur le web : le conseil aux clients, dans une démarche bienveillante“. La boutique propose aussi un service web to store, un clic & collect en une heure, la livraison à domicile et la mise à jour du stock en direct sur le site vers le magasin.

Aujourd’hui Bonne Gueule prouve qu’un média peut inventer un business model pérenne, rentable, en privilégiant l’humain, aussi bien avec ses équipes que ses lecteurs et clients, mais aussi que le contenu est primordial dans un marché ultra-concurrentiel, loin de l’instantané qui envahit le quotidien des consommateurs. “La technique et la stratégie sont finalement secondaires lorsqu’on souhaite développer sa communauté, il n’y a pas de recette communautaire, pas de mode d’emploi, à part l’intention de départ” qui doit être bienveillante et répondre à un pourquoi, que les fans ne manqueront pas de percevoir.

Prochainement Bonne Gueule proposera ses vêtements en Province, avec une distribution via des ambassadeurs et des showrooms “peut-être aussi un magasin à Lyon et dans d’autres grandes villes“. “Ce sont nos lecteurs qui deviendront nos ambassadeurs en région“. L’analyse des data “pour proposer un meilleur service à la communauté” est aussi à l’étude. L’objectif étant de “créer un Yelp du vêtement, basé sur la communauté, avec des avis sur les vêtements, les marques, le style, pour devenir un référent en amont de l’achat de vêtements pour homme, toujours en gardant une forte valeur ajoutée dans notre contenu“.