“Les entreprises devront réduire leurs délais de paiements et respecter les freelances s’ils veulent accéder aux meilleurs”

"Les entreprises devront réduire leurs délais de paiements et respecter les freelances s'ils veulent accéder aux meilleurs"

Le monde du travail est en train de changer, avec de moins en moins de création de postes salariés , mais de plus en plus de missions ponctuelles pour des travailleurs indépendants ou freelance. Liberté pour les uns, précarisation pour les autres, il n’en reste pas moins que tout un business est en train de se créer autour de cette mutation sociétale que personne ne peut plus ignorer aujourd’hui.

C’est sur principe que Hugo Lassiège, Jean-Baptiste Lemée et Vincent Huguet ont fondé Hopwork en 2013, avec l’idée d’en faire la première plateforme de mise en relation entre freelance et entreprises en France et en Europe. Un site sur lequel les indépendants créent leur profil, renseignent leur formation, leur savoir-faire, leurs travaux ainsi que leur tarif. Libres aux entreprises de les contacter en toute connaissance de cause pour une mission qu’ils auraient à leur confier par l’intermédiaire de Hopwork qui joue le rôle d’interlocuteur de confiance.

Le site revendique plus de 18 500 inscrits et 7000 entreprises utilisatrices.

hopwork

Hugo Lassiège, Jean-Baptitse Lemée et Vincent Huguet

D’où est née l’idée de Hopwork ? Quelle en a été la genèse ?

Vincent Huguet a été personnellement confronté au problème de trouver des freelances lorsqu’il a co-fondé Ooprint et Dromadaire. Il y a plus de 700 000 indépendants développeurs web et mobile, graphistes, UX designer, consultants marketing, rédacteurs indépendants en France mais aucun moyen simple de mettre en relation l’offre et la demande. Il existe des outils en ligne permettant de confier des tâches simples à des travailleurs offshore (Odesk, freelancer.com, fiver…) mais aucune plateforme ne permettait de rencontrer des freelances locaux sur des projets à plus haute valeur ajoutée.

Hugo et Jean-Baptiste eux sont développeurs freelances avec beaucoup d’expérience et étant passés en SSII avant de devenir freelances ils ont une bonne connaissance des attentes des indépendants et des défauts des autres solutions “classiques” (c’est à dire être porté par une SSII qui va “revendre” le freelance sans valeur ajoutée, avec un système très opaque)

Quel est votre développement depuis la création ? Combien avez vous d’inscrits ?

Le site est opérationnel depuis fin 2013 environ, il y avait 4000 freelances inscrits au bout d’un an environ (fin 2014), et nous fédérons aujourd’hui presque 18 500 indépendants un peu plus d’un an après. Nous connaissons donc une forte accélération de notre modèle avec plus de 2 000 inscrits chaque mois. Nous avons récemment dépassé le seuil des 10 000 projets proposés pour une valeur d’environ 20 millions d’euros depuis l’ouverture du site.

Nous avons récemment dépassé le seuil des 10 000 projets proposés

Quel service apportez-vous aux inscrits free lance et entreprises ?

Nous sommes d’abord une place de marché qui permet aux entreprises et aux freelances de se rencontrer, mais notre modèle va au delà de cette simple mise en relation car nous offrons des services supplémentaires à la fois aux freelances et aux entreprises :

– Pour les freelances nous offrons des outils d’aide à la gestion de leurs missions : outils de réalisation de devis et de facture, système de paiement sécurisé pour éviter les impayés, assurance RC Pro, et surtout des recommandations de fin de mission qui leur permettent de booster leur réputation. Nous venons d’ailleurs d’ouvrir la plateforme pour que les freelances puissent utiliser tous ces outils avec leur propres clients, avec des frais réduits bien entendu.

– Pour les clients nous sommes un tiers de confiance puisque nous vérifions les documents légaux des freelances (statuts, kbis, déclarations sociales) pour éviter le travail au noir et nous assurer qu’ils soient en règle vis à vis de la loi d’obligation de vigilance.

A quoi vont vous servir les fonds levés il y a quelques mois ?

Les fonds levés vont principalement servir à recruter une équipe de Hopworkers motivés pour transformer le monde du travail. Nous avons déjà fortement renforcé l’équipe produit (design, product management, développement back et front) et l’équipe commerciale pour accompagner nos clients et développer notre activité auprès des corporates. Nous allons également investir en marketing pour nous faire connaître auprès des donneurs d’ordre et trouver plus de missions pour les freelances de la plateforme.

Quels sont les secteurs les plus porteurs sur Hopwork ?

Toutes les entreprises de France peuvent utiliser Hopwork, tout le monde à besoin aujourd’hui de graphistes, de développeurs web et mobile, d’experts du marketing digital, que ce soit pour développer une application, un site ou simplement pour designer une newsletter. Notre modèle était destiné à l’origine aux PME, mais on observe de plus en plus de grandes entreprises qui viennent sur Hopwork pour trouver des experts très pointus ou pour remplacer progressivement des intermédiaires classiques comme des SSII. Nos interlocuteurs sont généralement les directions de l’innovation, du digital, du marketing et de l’IT. Mais nous rencontrons aussi souvent les départements achats pour qui nous sommes une solution simple pour centraliser le recours aux indépendants.

Notre modèle était destiné à l’origine aux PME, mais on observe de plus en plus de grandes entreprises qui viennent sur Hopwork pour trouver des experts

Quel est votre business model ?

Notre modèle est très simple, les freelances nous rémunèrent à hauteur de 5% à 10% du chiffre d’affaire qu’ils génèrent sur la plateforme.

Aujourd’hui on entend beaucoup parler de fin du salariat au profit d’une ubérisation des entreprises, est-ce une réalité selon vous ?

En réalité, ce qu’on appelle le ‘mouvement freelance’ aujourd’hui, est un phénomène qui existe déjà depuis des années. Il y a déjà 700 000 freelances en France et beaucoup d’entreprises travaillent avec des freelances depuis des années sans le savoir, par l’intermédiaire d’agences, de SSII. Et je ne crois pas non plus à la fin du salariat, mais il est certain que les indépendants (10% de la population active en France aujourd’hui) vont être de plus en plus nombreux. Être entrepreneur, c’est avant tout une question de personnalité, il faut aimer le risque, être prêt à faire face à des ascenseurs émotionnels quotidiens, donc je crois qu’on s’oriente plutôt vers un mix des deux ;). Et tous les emplois ne se prêtent pas aussi bien au freelancing que les métiers du digital ou du conseil !

Comment en est-on arrivé là ? Qu’est ce qui pousse les gens à vouloir devenir indépendants ?

Nous avons posé la question récemment aux freelances inscrits sur Hopwork et pour 80% d’entre eux c’est gérer son temps, ne plus avoir de patron et avoir une diversité des missions qui ont motivé leur choix. La liberté est clairement au cœur de leur décision. La seconde raison est que les entreprises ont un besoin croissant d’expertise, beaucoup de métiers sont de plus en plus complexes (par exemple le marketing). Enfin le numérique permet de rendre le marché beaucoup plus fluide pour qu’offre et demande se rencontrent.

Le numérique permet de rendre le marché beaucoup plus fluide pour qu’offre et demande se rencontrent

N’y a t-il pas un risque de précarisation car on voit que la plupart sont des microentrepreneurs, ne gagnant pas le SMIC même après plusieurs années d’activités ?

Ce n’est pas ce qu’on observe du tout. Il ne faut pas confondre la “gig economy” / le “jobbing” avec le freelancing. Les freelances sont des experts du digital et ils travaillent sur des projets à forte valeur ajoutée de plusieurs jours à plusieurs mois. 70% des freelances interrogés gagnent pareil ou plus que lorsqu’ils étaient salariés. Un tiers environ sont des auto entrepreneurs. Ce que nous observons en fait c’est que le statut d’auto entrepreneur est un statut “tremplin” qui joue très bien son rôle pour se lancer à moindre frais et sans trop de complexité administrative. Nous voyons tous les jours des freelances qui après un an d’activité changent de statut car ils dépassent le plafond des ~32K€ de chiffre d’affaire annuel.

Les freelances que nous connaissons ont pour la grande majorité fait le choix de l’indépendance (4% seulement cherchent à revenir au salariat), ils gagnent souvent plus (70% gagnent plus ou pareil), et ils apprécient leur liberté…

Est-ce un phénomène mondial ?

Le phénomène est encore plus fort dans d’autres pays, en particulier dans les pays nordiques et les pays anglo saxons. On estime que près de 40% de la population active sera constituée des travailleurs indépendants aux États-Unis d’ici 2025.

On estime que près de 40% de la population active sera constituée des travailleurs indépendants aux États-Unis d’ici 2025

N’y a t-il pas régression du monde du travail plutôt qu’une avancée quand on sait que le salariat et les droits du salariés sont tout récents dans l’histoire occidentale ?

C’est une question complexe. Il y a beaucoup de débats depuis longtemps autour de ce sujet, mais on peut aussi dire comme Jeremy Rifkin que le salariat était une aberration des 19e et 20e siècles qui ont retiré aux travailleurs leur outil de travail (possédé par le Capital) pour le remplacer par un salaire 🙂 On parle d’ailleurs beaucoup du nouvel artisanat numérique aujourd’hui, avec de nouveaux artisans qui ont repris possession de leur outil de travail : leur connaissance et les outils numériques. Comme le dit William Van Den Broek (Mutinerie) c’est finalement le retour en force de l’artisanat (numérique mais pas seulement) qu’avaient éclipsé les trois précédentes révolutions industrielles.

Je pense que la question n’est pas de savoir ce qui est bien ou mal mais plutôt de savoir comment accompagner au mieux une transformation réelle et profonde de la société. Comme le dit très bien Diana Filippova du collectif Ouishare (passée aujourd’hui chez Microsoft) c’est plutôt la question de l’inadaptation de nos sociétés à l’évolution du travail qu’il faut se poser. Et donc comment offrir des droits et une protection suffisante aux freelances qui le choisissent. Cette notion de choix est très importante, il ne faut pas forcer une protection qui est parfois inutile !

Les petits métiers d’antan, sont peut-être ainsi de retour mais sous forme tech ? Des jobs ne permettant pas de joindre les deux bouts et incitant à cumuler les prestations pour le profit de patrons peu scrupuleux, comme avant pourrait-ton dire ?

Encore une fois aujourd’hui ce n’est pas ce qu’on observe. Lorsqu’on est salarié on a un patron, lorsqu’on est freelance on a un client et donc plus de pouvoir et de libertés. Jean-Baptiste l’un des fondateurs de Hopwork, a une anecdote à ce sujet. Lorsque son client lui demandait de rester plus tard pour avancer sur un projet il faisait payer ses heures supplémentaires, le client payait ou bien se tournait alors vers des salariés au forfait jour, qui eux ne pouvaient pas négocier… Ce n’est pas forcément le salariat qui va apporter de la protection. Ce qui va protéger les travailleurs c’est la transparence dans tout le système. Depuis quelques semaines par exemple les freelances sur la plateforme laissent également des commentaires sur leurs clients après une mission. Ils pourront donc collectivement identifier les “patrons peu scrupuleux” et éviter de travailler eux. Les clients devront développer une “marque client” comment ils développent une “marque employeur”. Et ils n’auront pas le choix, ils devront réduire leurs délais de paiements et respecter les freelances s’ils veulent accéder aux meilleurs.

Les entreprises devront réduire leurs délais de paiements et respecter les freelances s’ils veulent accéder aux meilleurs

Quelles sont vos ambitions sur ces prochains mois ?

Nous allons continuer à croître sur le marché français et passer le cap des 20 000 freelances. Nous travaillons déjà avec 20% des entreprises du CAC 40, nous pouvons atteindre 50% dans les prochains mois. Ensuite il est difficile de se projeter très loin mais nous avons l’opportunité de devenir un acteur majeur du freelancing en Europe. C’est un marché colossal de 300 milliards d’euros et nous pensons que notre approche qui cherche à valoriser les freelances locaux peut nous emmener très loin.