Le slasheur : donner du sens à la précarité professionnelle

Le slasheur : donner du sens à la précarité professionnelle

Un slasheur c’est quoi ? C’est LA grande tendance du moment dans les médias en ce début d’année 2016. Ce sont des personnes, souvent des entrepreneurs et/ou freelance qui ont plusieurs activités et qui n’entrent pas dans une case “métier” quand on leur demande. Un phénomène générationnel à en croire l’engouement actuel autour de ces jeunes qui, pour faire face au chômage massif, se doivent d’avoir plusieurs cordes à leur arc pour trouver un job ou des clients et cumulent plusieurs jobs. Parfois avec plaisir, car il s’agit de leur tempérament touche-à-tout mais souvent par obligation, car le CDI ou la startup qui cartonne rapidement semble plus relever du rêve éveillé que de la réalité ces dernières années.

Il y en aurait 4,5 millions en France. Un phénomène qui, s’il existe depuis des décennies aux USA, s’est imposé en France depuis la crise économique de 2008. D’ailleurs Le Figaro en parlait en 2012 et Grazia en 2011. Aujourd’hui la jeune génération semble avoir renoncé à courir après un CDI, et préfèrent cumuler les jobs et les missions, plutôt qu’attendre un hypothétique contrat de travail à temps plein et affirme ce mode de vie tant décrié il y a encore peu. Le slasheur était alors vu comme un instable, éparpillé, refusant de faire des choix et de se tenir à un projet. Aujourd’hui tout a changé.

Certains sont à la fois freelance dans un domaine lié au web, serveur dans un restaurant le midi et parfois babysitteur les week-ends. Ils n’hésitent pas non plus à avoir des activités bénévoles auprès d’un public en difficulté, d’un think tank, ou d’une ONG écologique. Leurs engagements sont nombreux et variés. Ils ne sont pas forcément experts d’un domaine, mais ils peuvent occuper plusieurs postes en un. Ils ont souvent appris sur le tas la plupart des tâches et peuvent prendre la place de quelqu’un d’autre au pied levé. Nés hyperactifs, un smartphone multifonctions greffé au bout du bras, hyperconnectés, toujours prêts à rebondir sur un projet, une idée, un mouvement, ils sont là où on ne les attend pas et n’hésitent pas à changer quand le job ne leur apporte plus rien. Leur quête de sens est énorme, liée aux pertes de repères que vit l’Occident et l’envie de vivre une vie qui leur ressemble plutôt que suivre un chemin tout tracé comme leurs parents.

Il n’y a pas que les jeunes d’ailleurs qui sont devenus des slasheurs comme on aurait tendance à le croire, nombreux sont aussi les travailleurs qui ont fait un burn out après 20 ans passés dans une entreprise qui les a broyés et les a menés tout droit à Pôle Emploi et 1 an d’accompagnement à reprendre confiance en le monde du travail. Ils laissent alors éclore leurs rêves, ceux auxquels ils avaient renoncé pour occuper un CDI sécurisé et n’hésitent plus à abandonner leurs 5000€ mensuels pour devenir artiste, coach ou prof de sport. Des jobs qui ne leur assurent la plupart du temps qu’un revenu minime et qu’ils doivent donc compléter avec des missions de consulting dans leur ancien domaine ou de l’intérim.

Vous l’aurez compris, slasheur, c’est celui ou celle qui jongle entre plusieurs jobs, mais qui l’a plus ou moins choisi au contraire des populations faiblement qualifiées qui sont contraintes de cumuler plusieurs emplois peu rémunérateurs, avec des horaires contraignants et usants. Le slasheur est aujourd’hui un diplômé, qui a parfois tenté la vie entreprise, au fil de CDD et de stages, mais las de ne pas trouver sa place ni d’être reconnu, a rompu avec la société qui attend de lui une spécialisation, une expertise certaine dans son domaine, un parcours sans faute, une aisance financière. Il a alors fait le choix de ne pas faire de choix et de vivre toutes les expériences professionnelles qui lui donnent envie, qu’elles soient dans son secteur d’activité ou pas, rémunératrice ou non, intellectuelles ou manuelles, mettant du sens dans sa précarité professionnelle.

Cet mode du slasheur ne doit pas faire oublier celles et ceux qui le sont par nécessité. Les slasheurs pauvres, ceux qui font des petits jobs que personne ne veut prendre, comme vigile dans un supermarché jusqu’à minuit, bagagiste à Roissy le lendemain à 4h et conducteur de car scolaire à 17h. Évidemment c’est moins glamour que photographe et créateur de bijoux ou coach et prof de marketing. A l’image du troc, du don, du recyclage, tout devient fashion aujourd’hui mais on oublie ceux qui n’ont pas d’autre choix que de vivre ainsi et devront accepter les contraintes d’un job sous-payé, parfois non déclaré, avec des horaires et des conditions de travail épouvantables juste parce qu’ils ne sont pas bien nés ou qu’ils ont du faire face à un accident de la vie.

Et puis il faut se rappeler qu’un slasheur est souvent pointé du doigt, vu comme une bête curieuse incompris de ses proches, mais qu’il est aussi une formidable aubaine pour un employeur : imaginez un employé qui peut cumuler 4 jobs pour le salaire d’un seul. Encore mieux qu’un stagiaire ou un freelance !

Si on fait ce choix en son âme et conscience, ou si on est un véritable multi-potentiel dans l’âme, on accepte cette réalité, on met en place une stratégie pour vivre ainsi. On crée son propre job, sa boite, son poste en entreprise, qui nous ressemble et nous permet de nous épanouir. Mais quand on ne l’a pas choisi, cet engouement pour les slasheurs a un goût amer. On cherche où est l’épanouissant personnel tant vanté dans les articles de presse. De plus, comme toutes les tendances, cette tendance fait passer les autres, ceux qui sont experts dans un seul domaine, qui rêvent toujours d’un CDI, et qui n’envisagent pas de faire autre chose, pour des ringards qui ne s’adaptent pas au changement, à l’évolution de la société. Comme souvent, on encense les uns pour stigmatiser les autres. Alors qu’il suffirait simplement de rester neutre et de ne pas donner plus d’importance aux uns ou aux autres selon la mode du moment.