L’échec entrepreneurial est t-il devenu glamour ?

L'échec entrepreneurial est-il devenu glamour ?

Les fermetures et mises en redressement judiciaire se sont succédées cet été, donnant (peut-être) raison à tous ceux qui prédisent la fin de la bulle depuis 2 ans. Cette bulle, c’est celle qui a permis de lever des millions d’euros par des startups reposant sur une idée soi-disant disruptive ou une équipe séduisante, mais pour la plupart avec de gros handicaps de départ : marché hyper-concurrentiel, coût fixes énormes, pertes abyssales, mauvais gestionnaires, entrepreneurs confondant la notoriété et le développement d’une boite, idée de business n’ayant pas autant séduit le marché que prévu, investisseurs soumettant la levée à des résultats et bien d’autres raisons moins visibles.

On le dit régulièrement sur Fractale : lever des fonds n’est pas un but en soi, encore moins un business model. Elle fait peut-être les gros titres des médias et confère une certaine aura aux startupers, mais elle ne garantit pas le succès d’une entreprise. On pourrait même dire que dans certains cas elle accélère la chute. Car donner des millions à de mauvais gestionnaires, c’est leur ouvrir les vannes de dépenses inconsidérées. Quand on voit des boites embaucher 150 personnes en un an, ou cramer 100 000€ de budget pub dans le métro parisien ou sur Facebook, il y a de quoi se poser des questions quant à leur vision stratégique… Tout le monde ne partage pas cet avis, mais sur ce magazine nous privilégions la gestion de l’entreprise dite “en bon père de famille”. Un sou est un sou qu’il soit à nous, notre famille ou nos investisseurs. Dilapider 15 millions d’euros en un an sans savoir dans quoi, c’est choquant, surtout dans notre contexte économique actuel qui laisse des millions de familles sur le carreau. Mais les deux parties ne vivent pas dans le même monde, et gageons que ces entrepreneurs ayant lourdement échoué, s’ils auront une petite période de passage à vide, s’en sortiront haut la main, trouveront un poste de consultant, séduiront de nouveaux investisseurs ou partiront faire un tour du monde pendant 3 ans pour se recentrer sur leurs besoins essentiels. Ensuite ils viendront tout raconter, en forme de mea culpa, sur Medium ou dans une conférence Tedx.

Sauf que l’échec positif vu de cette façon n’est réservé qu’à une poignée d’heureux élus, ayant le réseau, la famille, les capacités à rebondir et parfois, voire souvent, aucune empathie pour leurs anciennes équipes abandonnées sur le bas-côté, leurs investisseurs ayant perdu de l’argent, et se fichant pas mal d’avoir planté leurs clients et fournisseurs. Un état d’esprit que la majorité des entrepreneurs ne partagent pas, fort heureusement, mais dont on ne parle jamais, dans un milieu où on glorifie les levées de fonds et l’échec. L’échec qui serait une sorte de rite initiatique pour tout startuper qui se respecte et qui veut booster son storytelling qu’il ne manquera pas de partager au NUMA ou à France Digitale.

L’échec pour le commun des entrepreneurs c’est le choc, le gouffre, un monde qui s’écroule, une vie qui s’arrête, un(e) conjoint qui s’en va, une maison mise aux enchères, des huissiers qui saisissent les meubles et la voiture, la honte, le mal-être suivi parfois par une dépression, le repli sur soi, l’enfermement, la solitude, une estime de soi mise à mal et parfois le suicide. Hé oui, l’échec ce n’est pas simplement fermer son site, écrire une chronique au milieu de l’été sur tous les médias en mal de titres accrocheurs et partir 3 mois à Bali ou en Argentine pour renouer avec la vraie vie. Mais cela, on n’en parle que très peu, car cela fait peur à tous ceux qui ont lancé leur boite. Rassurez-vous tout le monde n’échoue pas, même si des erreurs peuvent être commises, et tout le monde finit plus ou moins par s’en remettre sur le long terme. Mais il ne faut pas nier les conséquences, l’atteinte de son estime et son honneur, la perte de confiance en soi, les périodes sombres, les années à tenter de se relever financièrement et les doutes qui ne cesseront de jalonner les prochains projets.

Alors oui, on apprend toujours de ses échecs, mais encore faut-il se remettre en question soi-même et ne pas accuser les autres, le pays, le climat social ou se faire passer pour un éternel incompris. Chose que ceux qui viennent partager leurs déboires ont oublié au passage, préférant s’en prendre aux investisseurs qui n’ont pas versé toute la somme promise, aux concurrents qui n’ont pas joué le jeu, aux associés qui n’étaient pas sur la même longueur d’onde, au marché qui n’était pas prêt, etc… Mais eux bizarrement, ils n’ont jamais rien à se reprocher. Ce sont tous d’excellents entrepreneurs, ayant eu une idée formidable, mais n’ayant pas eu de chance sur ce coup là. Les planètes ne devaient pas avoir le bon alignement certainement.

On apprend de ses échecs avec le temps, qui peut être plus ou moins long selon son “capital rebond” différent d’une personne à l’autre en fonction de son éducation, ses valeurs, son expérience, son entourage, ses pertes et les conséquences de cet échec. Mais il y a peu de vrais entrepreneurs, ayant tout donné pour leur boite, qui sont capables en plein redressement judiciaire d’aller raconter que malgré tout, tout va très bien et que ce passage à vide sera de courte durée. Plus l’entrepreneur était passionné par sa boite et plus il y avait mis du cœur, plus l’échec sera cuisant et la pente longue à remonter. Comme un sportif de haut niveau, on ne passe pas d’un échec à un rebond en un coup de baguette magique. Il faut repartir au charbon, faire le point, prendre du recul, sortir la tête de l’eau, assainir la situation, gérer les dommages collatéraux, protéger ses proches, tout en retrouvant la confiance en soi. Une confiance en soi qui en prend un coup, même chez ceux qui en ont beaucoup, et qui ne manquera pas de se rappeler au bon souvenir pendant des années. C’est pourquoi il est essentiel d’être entouré, de se faire accompagner et de faire une véritable pause une fois que tout sera réglé. Seul, c’est mission impossible, trop lourd à gérer. C’est comme un deuil, sauf qu’on n’a pas perdu un proche mais son entreprise, son bébé pour certains.

Mais, pour terminer sur une note optimiste, il ne faut pas perdre de vue que tous les entrepreneurs n’échoueront pas. Il ne faut pas en avoir peur non plus. Il n’y a pas d’obligation d’échouer avant de réussir. Et puis chacun met les mots sur les maux. Certaines situations sont vécues comme un échec pour certains et pas par d’autres. Le tout est de garder l’esprit en alerte, observer les moindre signaux annonciateurs d’un échec, ne pas faire l’autruche et s’entêter alors que tout montre que la rupture n’est pas loin, enlever ses œillères et trouver rapidement une solution avant de toucher le fond. Ne pas hésiter à demander de l’aide, à en parler à des gens de confiance ou à ceux qui sont passés par là et garder la foi. Car même si on échoue, on finit toujours pas rebondir, parfois pas aussi haut, mais on a toute la vie devant soi pour se remettre sur les rails, ne l’oublions pas.