On attaque cette rentrée avec un sujet qui nous tient à cœur sur Fractale : les entrepreneurs autodidactes. Ceux qui n’ont pas fait ou peu d’études, très éloignés des traditionnels diplômés d’école de commerce qui sont LA référence de l’entrepreuriat en France quoi qu’on en dise… Et pourtant il y a des millions de créateurs d’entreprise qui n’ont pas suivi ce chemin et dont on ne parle jamais dans les médias. C’est à eux que nous donnons la parole la plupart du temps sur Fractale et nous continuerons cette année 🙂
Zoom aujourd’hui sur Marie-Laure Krauze, fondatrice d’Une part de Bonheur – création et vente de bijoux en ventes privées à Genève -, installée en Suisse. Maman de trois grands enfants, Marie-Laure s’est lancée en 2011 après le départ de ces derniers de la maison, à plus de 50 ans et sans aucun “bagage” nécessaire à la création d’un projet, si ce n’est une belle confiance en soi, l’envie de créer son propre projet, une expérience dans les ressources humaines et divers secteurs artistiques et créatifs, mais surtout une forte envie de vivre comme bon lui semble.
Depuis, Marie-Laure travaille à plein temps, même le dimanche… Elle a 3 employés pour la vente, et travaille en collaboration avec sa fille Pauline qui vient de terminer ces études Esmod en stylisme pour la création des modèles. Son mari s’occupe du back office.
Pourquoi avoir arrêté si tôt vos études ?
Débordant d’énergie, le cadre scolaire était un peu “étroit” pour moi. J’avais envie de démarrer dans la vie active. A l’époque, dans les années 80, et il y avait énormément d’emplois proposés.
Que faisaient vos parents et comment ont-ils pris votre choix de ne pas poursuivre vos études ?
Maman était mère au foyer et Papa directeur commercial d’une société lyonnaise de textile, avec une très belle réussite. Lorsque j’ai décidé d’arrêter mes études, ils avaient confiance en moi et m’ont laissé faire, mais sans pour autant m’aider. Il m’est arrivé de vivre avec 10 frs de l’époque par jour, en dormant dans des auberges de jeunesse…. Pas drôle tous les jours…
Il m’est arrivé de vivre avec 10 frs de l’époque par jour, en dormant dans des auberges de jeunesse
Le fait de ne pas avoir fait d’études vous a t-il handicapé dans votre carrière ?
Non, je ne crois pas. Je suis curieuse et m’intéresse à beaucoup de choses. J’ai toujours beaucoup lu et j’ai “pallié” ainsi en partie, mon manque de culture. J’ai un sens inné d’adaptation et je me suis toujours dirigée vers des emplois où mes compétences étaient mises en valeur rapidement. Lorsque je recherchais un emploi, je regardais les annonces où il fallait se présenter, et non celle où il fallait envoyer un CV. J’ai toujours été soignée et présentable et cela a aussi joué en ma faveur. Une chose m’a manqué et me manque encore, c’est de ne pas parler correctement anglais. Alors là, oui, ça je regrette de ne pas avoir passé du temps à l’étranger.
Qu’est ce qui vous a motivé à vous lancer dans l’entrepreneuriat ?
J’ai créé ma société par la force des choses. Lorsque j’ai réalisé que nos trois enfants quittaient la maison en même temps, 6 mois avant, j’ai commencé à chercher un produit sympa à vendre. J’ai rencontré une amie qui créait des bijoux dans son atelier. J’ai adoré ce qu’elle faisait ! Indispensable pour bien vendre !!! Mon mari venait de changer de job en se mettant à son compte et il me paraissait indispensable de gagner de l’argent (3 enfants en études sup étaient une motivation supplémentaire…). Lorsque les enfants sont partis, j’étais déjà lancée et occupée… J’avais plus de 50 ans et je n’ai même pas cherché à me faire embaucher. Aucune illusion… De plus, je souhaitais redémarrer doucement, avec mes horaires et des vacances. J’ai commencé par des ventes privées et puis j’ai rencontré une belle personne qui avait un très beau magasin de vêtements. Elle m’a invité pendant 5 ans, 2/3 fois par an, à faire des ventes dans son magasin. Ma clientèle s’est créée là. Je me suis mise en auto-entrepreneur mais dès la première année, le plafond était atteint. D’où la création de ma Sarl.
Mon mari venait de changer de job en se mettant à son compte et il me paraissait indispensable de gagner de l’argent
Comment vous êtes-vous formée pour apprendre à gérer une société ?
J’ai la chance d’avoir mon mari avec moi. Il était directeur financier et maîtrise parfaitement le fonctionnement d’une société. Il m’a épaulé, soutenu et continue à le faire malgré son job très prenant. J’apprends tous les jours, à ces côtés, même si la gestion/compta n’est pas ma tasse de thé…
Avez-vous ressenti une différence avec celles et ceux qui sortaient d’une école de commerce ou d’ingénieur ? Comment l’avez-vous vécu ?
Lorsque je suis confrontée à des directeurs, responsables des achats ou autre, François (mon mari) m’accompagne à ces rdv. Il a une formation d’ingénieur et à nous deux, on passe très bien. Il est certain que par leurs acquis, les personnes diplômées de grandes écoles ont des références et réflexes que je n’ai pas, mais notre expérience n’a pas de prix !
Avez vous l’impression que vous avez du faire beaucoup plus vos preuves que ceux qui avaient des bac + 5 ?
Non, je n’ai pas dû faire plus mes preuves. Mon bac + 5, c’est mon expérience, mes acquis, et si on est capable de restituer ce que la vie nous apprend, c’est une énorme force.
Si on est capable de restituer ce que la vie nous apprend, c’est une énorme force
Pensez-vous que l’entrepreneuriat est aujourd’hui un ascenseur social en France ? Permet t-il de gommer les inégalités ?
Bien sûr que l’entrepreneuriat est un ascenseur social. Si votre projet est bon, si votre produit est excellent et que vous en êtes convaincu, il est “facile” de convaincre les clients. Mais, il ne faut pas faire les choses à moitié. C’est énormément de travail pour en vivre. Si on peut créer son emploi, on sort de la précarité, on devient indépendant mais on doit tout donner pour que ça marche. Il faut vraiment être convaincu et “habité” par son projet.
Pensez-vous qu’il s’agit d’une spécificité française ou générationnelle ?
Je pense qu’il s’agit plus d’une spécificité générationnelle. Combien de bac + 5 ne trouvent pas d’emploi et enchaînent les stages ? Les grands groupes français ou suisses mettent une telle pression à leur cadres, et de plus, autrefois, on faisait carrière dans la même entreprise, mais maintenant ça n’existe plus. Combien se retrouvent sans emploi vers 40/45 ans car il coûtent trop cher à l’entreprise ? Les jeunes aspirent à plus de “liberté”, d’indépendance et se mettre à son compte offre tout cela, mais je crois n’avoir jamais fait des semaines de 70 h, comme maintenant…
Les jeunes aspirent à plus de “liberté”, d’indépendance et se mettre à son compte offre tout cela
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui a arrêté ses études et qui voudrait se lancer ?
Mes conseils seront les suivants : A l’heure actuelle, la société a tellement changé. C’est sûrement plus difficile maintenant qu’il y a seulement 5 ans en arrière. Je pense que je me ferais embaucher dans une entreprise, quelle qu’elle soit, Mc Do, vendeuse etc… Un petit job, juste pour voir comment ça marche, les rapports clients/vendeuse, clients/serveuse etc… Et dès que possible, partir dans un pays anglophone apprendre l’anglais couramment.
Si mon idée de création est là, avant tout, être convaincu que l’idée ou le produit est bon. Se remettre en question pour essayer d’avoir une analyse objective de l’idée ou du produit. Avoir confiance en soi, être certain de réussir. Ça c’est la partie motivation. Si l’idée ou le produit existe déjà, (exemple de food trucks) prendre comme modèle un qui marche très bien. Observer, analyser, s’inspirer et améliorer ou se distinguer. Utiliser les outils de communication pour se faire connaître. A travers Instagram ou Facebook, c’est gratuit, et ça marche.
Pour un jeune, qui se lance, il est peut-être judicieux de s’associer à un ami qui lui aura peut être un peu plus d’expérience. Être complémentaire. Et surtout, se donner toutes les chances de réussite, ne pas compter ses heures, tout faire le mieux possible. Ne rien avoir à se reprocher.
Quel type d’entrepreneur êtes vous ?
Simple, dynamique, heureuse, cool mais charismatique avec mes employés, hyper exigeante avec moi même, battante, combattante, stressée et détendue par moments…
Qu’est ce qui fait votre force ?
Ma force, c’est la connaissance de mes produits, c’est l’analyse de la personne qui vient choisir un bijoux pour elle, (mes 10 ans dans les RH me sont très utiles). Je sais très vite quel bijoux va lui plaire. Et entre celui a 200 chf qui ne lui va pas et celui à 100 chf qui lui va très bien, je l’incite à acheter le moins cher, tout en le lui faisant remarquer … Ça, c’est une cliente de gagnée. Je dis toujours oui, si je peux aider les gens. Une réparation gratuite, même si le bijou n’est pas de ma marque, un conseil, un nettoyage de bijou oxydé sans que le client ne demande rien, ce sont des petits gestes qui plaisent et fidélisent.
Ma force, c’est ma fille Pauline (diplômée Esmod Paris en stylisme) avec qui nous créons 3 à 4 collections par an, annoncées à travers les réseaux sociaux et emailing envoyés à nos clients, il faut de la nouveauté , du renouvellement de gamme. Ça n’est pas son travail, Pauline n’est pas salarié de ma société, c’est juste un coup de pouce qu’elle me donne.
Ma force, c’est mon mari François qui m’accompagne, qui me suit, qui m’épaule. Mon autre fille Marine (infirmière) est aussi férue de mode, son regard compte et Vincent, en école de commerce, reprendra Une Part de Bonheur quand il sera diplômé…
Ça, on verra 😊
En fait, ma force, c’est ma famille.
Quelle est votre définition de la réussite ?
Croire en soi, s’entourer des bonnes personnes, s’investir comme jamais, maîtriser le produit quel qu’il soit de A à Z, regarder et être à l’écoute, donner confiance et ça devrait aller…
Il faut vraiment être convaincu et “habité” par son projet