“La Turquie n’est plus aussi attractive pour les étrangers, que ce soit pour du tourisme ou de l’expatriation” Joseph Donyo – Canım Istanbul

"La Turquie n’est plus aussi attractive pour les étrangers, que ce soit pour du tourisme ou de l’expatriation" Joseph Donyo - Canım Istanbul

La Turquie, on en parle surtout pour les attentats, la crise des réfugiés, Erdogan, le coup d’État, la répression, etc.. Alors que le pays est toujours en négociation pour entrer dans l’Europe malgré tout, l’apaisement semble s’éloigner pas à pas… Et pourtant de nombreux français ont fait le choix de s’installer à Istanbul. On avait rencontré Sophie Serizier et Solène Pignet en 2016 qui ne tarissaient pas l’éloge sur les possibilités offertes par la ville aux entrepreneurs expatriés. Aujourd’hui, alors que le contexte s’est durci, c’est au tour de Joseph Donyo, de nous parler de sa vie d’entrepreneur à Istanbul, où il est installé depuis 2012 après une carrière dans le textile. En 2014, Joseph a créé une newsletter lifestyle et culture, Canım Istanbul, destinée aux turcs et expats qui souhaitent découvrir leur ville sous un autre jour.

2015-josephdonyo1

C’est quoi Canım Istanbul ? D’où est née l’idée ?

Canım Istanbul, c’est la newsletter de référence culture/lifestyle d’Istanbul. Deux fois par semaine, nos lectrices et lecteurs reçoivent un email très court avec une bonne idée, quelque chose qui peut rendre la vie à Istanbul plus agréable : une expo photo, un nouveau restaurant, une sélection de pièces de théâtre ou de concerts, une boutique de créateur, une escapade pour le weekend… Notre contenu est diffusé en Turc et en Anglais.

J’ai toujours été un grand amateur de newsletter, je suis convaincu aujourd’hui encore que c’est un excellent moyen de lire un condensé d’information en peu de temps.

Quand je suis arrivé à Istanbul début 2012, j’avais envie de découvrir la ville, de manger, de sortir, et je ne trouvais pas de bonne source d’information en dehors de quelques magazines et blogs spécialisés. A l’époque je travaillais dans le textile. C’est en 2014, lorsque j’ai décidé de changer de voie, que j’ai lancé Canım Istanbul.

J’ai toujours été un grand amateur de newsletter, je suis convaincu aujourd’hui encore que c’est un excellent moyen de lire un condensé d’information en peu de temps

A qui vous adressez-vous ? Qui vous lit ? Combien de lecteurs et abonnés avez-vous chaque mois ? Que viennent ils y chercher ?

La newsletter de Canım Istanbul s’adresse aux Stambouliotes, Turcs et expatriés, qui ont envie de continuer à découvrir leur ville. Avec notre site internet et nos médias sociaux (Facebook, Instagram), nous pouvons élargir notre audience aux touristes qui passent seulement quelques jours à Istanbul et qui cherchent des bonnes adresses.

Nous avons 30.000 abonnés à la newsletter et 70.000 followers sur les réseaux sociaux, principalement des femmes entre 25 et 45 ans.

Qui sont vos concurrents ?

Nos concurrents sont les acteurs traditionnels comme TimeOut (qui n’existe plus qu’en Turc) et des blogs spécialisés food/musique/culture, comme bantmag ou Istanbul Eats.

Où puisez-vous l’inspiration ?

Les sources d’inspirations de Canım viennent de tous les horizons. Nos rédactrices sont en permanence à l’écoute de ce qui se passe dans la ville : ouverture d’un nouveau restaurant ou d’une boutique, nouvelle exposition, concerts… Parfois, l’inspiration vient directement de la rue, au détour d’une marche dans la ville. Il m’est souvent arriver de découvrir des nouveaux lieux par hasard, en me promenant.

Quelles sont les valeurs que vous partagez auprès de votre lectorat ?

La curiosité. Nous cherchons à surprendre nos lectrices chaque semaine en trouvant quelque chose de nouveau et d’excitant qui va égayer la vie des Stambouliotes. La mission de Canım Istanbul est simple : explorer la ville, éliminer le superflu et partager avec nos lectrices et lecteurs uniquement le meilleur d’Istanbul.

Quel est votre parcours et comment avez-vous atterri à Istanbul ? Qu’est ce qui vous plait dans cette ville ?

Je suis né à Paris mais toute ma famille vient d’Izmir en Turquie. Après 5 ans aux États-Unis, j’ai rejoint l’entreprise familiale dans le textile, ce qui m’a amené à voyager en Turquie tous les mois. J’ai fini par venir habiter à Istanbul en 2012. J’ai tout de suite été émerveillé par cette ville, son énergie, sa taille, sa gastronomie, ses bateaux et son histoire.

Comment vivez-vous au quotidien en Turquie ? Ressentez-vous un durcissement de la vie politique, comment cela se traduit-il pour vous, les expats et les locaux ? Comment cela affecte-t-il votre quotidien, votre job ?

Depuis un an, le contexte a énormément changé en Turquie. Entre les attentats à répétition, la tentative de coup d’état, le durcissement du pouvoir et le fort ralentissement de l’économie, 2016 a été une année difficile. J’ai lancé Canım Istanbul un an après le mouvement de Gezi, qui était porteur de beaucoup d’espoir pour la jeunesse turque. Aujourd’hui on est malheureusement très loin de cet esprit. La Turquie n’est plus aussi attractive pour les étrangers, que ce soit pour du tourisme ou de l’expatriation. Heureusement, notre lectorat est constitué de locaux à 90% donc cela n’affecte pas trop notre travail.

J’ai lancé Canım Istanbul un an après le mouvement de Gezi, qui était porteur de beaucoup d’espoir pour la jeunesse turque. Aujourd’hui on est malheureusement très loin de cet esprit

Qu’est-ce qui vous anime au quotidien ? Quelles sont vos passions qui vous  poussent à vous dépasser et continuer votre projet chaque jour ?

Nous avons envie d’être une bouffée d’air frais, une source d’idées pour les locaux qui ont envie de se changer les idées dans ce contexte difficile. Découvrir un nouveau restaurant et partager un bon repas avec des amis, aller voir une pièce de théâtre, danser sur la musique d’un super DJ ou aller passer un weekend au vert… ce sont des choses qui font toujours du bien, surtout dans l’environnement actuel en Turquie. Si Canım Istanbul peut apporter sa petite contribution au bien-être des Stambouliotes, alors nous avons réussi notre mission.

Quel est votre business model ? Comment aujourd’hui est il possible d’avoir un modèle économique viable sur un magazine ?

Le business model est simple : nous proposons à des marques de créer pour elles du contenu sur-mesure que nous diffusons ensuite à notre audience. L’idée est d’intégrer de la publicité à notre média en invitant les annonceurs dans des newsletters sponsorisées. Nous avons déjà travaillé avec des marques comme Tommy Hilfiger, happn, Triwa, Sephora, Zipcar, Gap, etc.

Ce n’est pas un modèle économique facile. La première difficulté est de parvenir à gagner la confiance de son lectorat avec un contenu de qualité et sans compromis (nous ne touchons pas 1 centime des lieux et bons plans dont nous parlons). Il faut ensuite intégrer intelligemment la publicité afin qu’elle soit bien acceptée. Ces dernières années, il a y eu trop d’abus des sites médias où l’expérience utilisateur était complètement négligée : bannières intempestives, pop-ups impossibles à fermer, contenus pièges sur les réseaux sociaux juste pour générer du clic, etc. Enfin, il faut développer une audience qualitative et bien ciblée qui attire les annonceurs.

MyLittleParis est bien-sûr une référence dans le domaine et leur évolution du media vers le e-commerce est exemplaire. Dans le même genre, je suis admiratif de Gustave & Rosalie et de Thrillist. Il ne faut pas oublier Daily Candy, pionnier du secteur aux États-Unis qui n’a malheureusement pas réussi à perdurer.

Ces dernières années, il a y eu trop d’abus des sites médias où l’expérience utilisateur était complètement négligée

Comment avez-vous financé votre activité ? En vivez-vous aujourd’hui ?

Lancer une newsletter et un blog n’est pas très coûteux, donc c’est moi qui ai financé l’activité à son démarrage.

Aujourd’hui je n’en vis pas donc j’ai développé une activité en parallèle autour de la publicité Facebook : je fais du conseil et de la formation en Facebook Ads. La plateforme publicitaire de Facebook évolue très vite et sa puissance pour faire de l’acquisition ciblée est incroyable… quand elle est bien utilisée ! J’aide donc des entrepreneurs, startups et PME qui veulent se servir des Facebook Ads à bien calibrer et optimiser leurs campagnes de publicité. Cette activité me plaît énormément et me prend de plus en plus de temps. Ce n’est pas quelque chose que j’avais prévu de faire, mais j’ai eu des opportunités (d’abord à Istanbul par l’intermédiaire de Viapro puis à Paris) de former des entrepreneurs puis de conseiller des startups et j’ai tiré le fil. Je suis maintenant entrepreneur et consultant.

J’interviens également dans l’enseignement supérieur sur le sujet et sur le marketing digital au sens plus large.

Quelle est votre stratégie marketing pour vous faire connaitre ? Comment utilisez-vous les réseaux sociaux dans cette optique ?

Dès le départ, c’était mon obsession de construire une audience (en plus de produire du contenu de qualité bien-sûr). Le bouche à oreille nous a toujours amené de nouvelles lectrices, mais avec la profusion de contenu sur Internet, on ne peut pas compter uniquement là-dessus. Les réseaux sociaux sont évidemment un canal d’acquisition essentiel. J’ai commencé par demander à tous mes contacts Facebook de partager la page d’inscription à la newsletter à leurs amis. J’ai toujours incité les personnes/lieux dont on parle dans Canım Istanbul à partager nos articles sur leurs pages afin de toucher leurs audiences. La publicité Facebook est très efficace pour toucher exactement les personnes qu’on cible et a très bien fonctionné dés le début. Nous avons fait des partenariats avec des blogeuses Turques spécialisées (musique, beauté). J’ai demandé à des amies de coller des petits stickers dans les toilettes des bars et restaurants où elles sortent. Bref, il faut essayer beaucoup de choses et se concentrer sur ce qui marche.

Il faut essayer beaucoup de choses et se concentrer sur ce qui marche

Votre plus grosse galère ?

Opérer dans un pays qui a connu des attentats tous les mois et une tentative de coup d’état. Ça je ne l’avais pas prévu dans mon business plan…!

Votre plus grande fierté ?

Avoir réussi ma reconversion dans le digital. Même si Canım Istanbul doit s’arrêter demain, j’ai acquis des compétences qui me permettront de travailler dans ce secteur et de lancer autre chose.

Quel conseil donneriez-vous à un entrepreneur qui se lancerait comme vous aujourd’hui à créer un magazine touristique ?

De bien garder en tête les 3 piliers d’une telle entreprise : l’éditorial (un contenu de qualité), le marketing (pour promouvoir son magazine et créer une audience) et le commercial (pour aller chercher les revenus qui feront vivre le magazine). Patience et persévérance…